TROIS FOIS RIEN

« DES IMAGES QUI DORMENT (…)»

P.B.

TROIS FOIS RIEN DÉCRIT TROIS FOIS RIEN OBSERVÉ DANS TROIS ENVIRONNEMENT VULNÉRABLES, CELUI DES GROTTES, CELUI DES MARBRES ET CELUI DU BOSQUET

Lieu : Galerie Carine Delalande, Martel (Lot)
01 SEPTEMBRE au 01 OCTOBRE 2023

Installation: tirages photo, vidéos HD, pierres, bois, poudre de marbre, brindille.

Les objets, les photographies et les films présentés dans la galerie de Carine Delalande se situaient à la croisée de la création artistique, de la recherche en art et de la pédagogie. Ils sont le fruit d’une activité conduite dans le cadre de trois situations collectives de travail avec des étudiant·es en art et parfois une artiste, qui se sont déroulées entre fin 2022 et mars 2023 dans la vallée de Célé, à Saint-Pons-de-Thomières, à Montgreleix et enfin plus récemment à Carrare. Bien que fondues dans l’expérience collective, ces écritures conservent toutefois un sens individuel discret, une petite voix parmi et avec d’autres.
Chacun de ces trois environnements vulnérables, celui des grottes, celui des marbres et celui du bosquet, représente un modèle de pensée. Le caillou, l’eau, l’image animale, les racines comme le mycélium et les activités humaines y tiennent une place déterminante et expriment leur pouvoir de résistance à l’érosion, leur force de métamorphose, de sédimentation, d’apparition et de disparition.
Comme autant d’images qui dorment, ces manifestations fragiles suggèrent d’écouter avec attention le débat qui se tient entre l’évènement de l’instant (une aiguille de pin qui vacille pendue à un fil d’araignée) et l’épreuve de la durée (le processus métamorphique des sédiments, dont on entrevoit la trace et les césures au détour du plan de coupe d’un marbre).
Le temps est élastique, extra-rapide et extra-lent. Le temps du geste fait toujours avec la durée de la morphogenèse. On est brindille dans le cosmos. La valeur du trois fois rien vient sans doute du fait que trois fois rien, certes, c’est un peu plus que rien, mais ce n’est jamais grand-chose et, mine de rien, ce sont bien cette valeur récessive et ce pouvoir de résistance qui résonnent avec ce qu’on vit.
Ces trois fois rien rassembleraient, en quelque sorte, une petite collection de curiosités, de relations et de vulnérabilités.
Cultiver le trois fois rien, ce serait un peu une tentative écologique du trois fois moins.

QUI?: Pierre Baumann.

 

 

 

 

 

Au rez-de-chaussée, le trois fois rien questionnait la vulnérabilité sur la base de processus essentiellement basés sur l’observation de phénomènes organiques.
À l’étage, dans l’atelier de Carine Delalande, le champ de pierre se fonde sur un développement organique d’un autre ordre, celui d’une géométrie qui résulte de gestes simples : couper des plans dans des sections de bois en suivant la dynamique naturelle du matériaux, à l’image de la genèse des cristaux. La plupart du temps, ça tombe bien. Autrement dit, aucune géométrie n’est préméditée, ni même calculée.
Ce sont des gestes de trois fois rien, comme Lucky-Luke taille une branche, tranquille sur la terrasse du saloon au couché de soleil, parce qu’il a fini le job (fissa!), ou comme la figure féminine de La mélancolie de Cranach qui, elle aussi, taille des copeaux pour tuer le temps, réduction à trois fois rien du travail du charpentier.
Ce sont des gestes de vacuité qui nécessitent un peu de patience, et une concentration relative, simplement attentive à la planéité des surfaces et à la rectitude des arrêtes. Cette vacuité a donc une nuance. Elle est contenue dans la surface qui se doit d’être la plus plate possible tout en préservant les fléchissements tactiles de la fibre du bois. On peut penser que c’est cette même douceur de la surface qui importe dans le travail de Carine.
Ces objets ne sont pas tout à fait des sculptures puisqu’ils sont parfois employés comme tabouret, table basse… le noir masque les traces de verre… Ce sont des objets libres. En revanche ces trois fois rien sont, année après année, devenus de sympathiques objets de compagnie qui font partie de la famille.
Autrement dit, ce champ de pierres parle avec silence d’une autre forme de vulnérabilité.