OBJETS LIBRES

OBJETS DE LA RECHERCHE

Les travaux sur les objets libres consistent à penser, d’abord dans un contexte artistique, que la création d’objets de recherche ne remplit pas exactement la même fonction qu’une œuvre d’art, même s’ils convoquent des expressions communes de forme, d’invention ou encore de prise de risque. En revanche ces créations de recherche sont particulières puisqu’elles ne semblent parfois pas tout à fait agir comme des productions de recherche au sens strict, notamment parce qu’elles emploient un langage formel. Si sa tentative de définition pose la question très ouverte de « qu’est-ce qui fait recherche, comment, où et avec quoi », l’hypothèse serait d’accepter le principe que ladite recherche vise tout simplement à la production de connaissances. Plus précisément on pourrait alors tester des critères établis pour évaluer – et donc indirectement définir – la recherche fondamentale : critère de nouveauté, de créativité, d’incertitude, de systématisation et de transférabilité.

Les travaux sur les objets libres ont pour objectif de considérer ce périmètre et de discuter l’impact, d’une part, contraignant et, d’autre part, motivant de cette critérisation.

La spatialisation de cet environnement permet de dresser un diagramme très simple à l’intérieur duquel on peut alors tester la particularité et la porosité des territoires ainsi définis entre une œuvre, un objet de recherche, un artiste et un chercheur en particulier.

USAGE DE L’ART

Ensuite il s’agit de voir comment ces objets particuliers participent au sujet même des travaux ici conduits, à savoir étudier comment la conception de l’œuvre d’art doit être dissociée de celle de l’objet artistique. Autrement dit, il est des objets artistiques qui n’agissent pas dans les sphères qui accueillent en général les œuvres. Cette seule constatation pose très simplement la question des nouvelles attentions qui se dessinent actuellement à l’égard de l’usage de l’art dans un contexte absorbé à juste titre par la chute des écosystèmes.

AVOIR DU JEU

Le laboratoire est donc un espace atelier dédié à des expériences souvent très pratiques de construction, de montage, de discussion, de captation et d’échange qui permet d’observer comment les objets ont du jeu. Du jeu parce que cette logique du faire (recherche-action, recherche expérimentale, donc) permet d’observer comment l’objet créé fait avec les contraintes et les nécessités, comment il s’en amuse, comment sa mobilité interagit avec celles des autres et comment il construit sa propre mésologie. Si ces objets sont dits libres c’est aussi parce qu’il s’agit d’observer comment la mobilité met au débat l’autorité et l’indépendance de penser, l’opportunisme, l’adaptabilité, la polyvalence et la faculté de rebond. Étudier un objet libre consiste à déterminer cette succession de positions et de fonctions.

Dans ce contexte, l’usage et l’étude des objets libres doit permettre de discuter leur implication dans des milieux divers, de considérer leur écologie et leur économie, mais aussi, ce qui simplement fait sens, en dehors de toute vocation utilitaire. Si le sens induit l’étude de la perception, il donne aussi une direction, ou, tout simplement, un pouvoir d’attraction.

MOBY-DICK DANS LE DIAGRAMME

Le projet Moby-Dick à pour objectif d’observer, de tester et d’étudier chaque zone du diagramme et en particulier celles qui sont les plus éloignées du sens courant, par exemple lorsque des objets n’ont plus d’auteur humain (à l’instar des formes de la nature) ou lorsque l’auteur n’est ni « artiste » ni « chercheur » (un pêcheur ou un charpentier) ou encore lorsque l’œuvre se prête à devenir objet-recherche à part entière (Moby-dick). Etc.
Le cas d’exemple du roman de Melville Moby-Dick ou le cachalot, s’avère, en effet, être un terrain de jeu particulièrement adapté, puisqu’il n’y a pas vraiment un sens commun (le dessein d’Achab diffère de celui de son équipage) mais tous œuvrent pour un usage commun (faire fonctionner l’organisation du navire). Le jeu de la navigation convoque un assortiment d’objets à la fonction précise, mais convertible (un cercueil peut devenir une bouée) qui s’appuie sur des savoirs nécessaires à la bonne marche de l’équipage et polyvalents (le charpentier est le couteau suisse de l’équipage).
Melville y décrit les relations complexes d’un groupe d’humains en conflit avec le vivant dans le contexte d’un monde liquide sur le déclin du fait d’une trop forte industrialisation, d’un épuisement des ressources et de l’apparition d’alternatives énergétiques (l’usage de la graisse de baleine va être supplantée par le pétrole).

Les troublantes correspondances avec notre société contemporaine, expliquent probablement pourquoi l’œuvre melvillienne est un modèle particulièrement riche à explorer.
Enfin, last but not least, le modèle Melville permet, également d’étudier comment l’aventure vécue (celle de l’auteur) détermine la construction du roman, met en crise la culture scientifique et pose l’épineuse question de ce que signifierait la réécriture d’un objet aussi étrange.

REPENSER LE STATUT DES OBJETS DE LA RECHERCHE EN ARTS

Dans le contexte actuel du développement de la recherche en arts à l’université et dans les écoles d’art, le projet Moby-Dick conduit un travail épistémologique sur les méthodes de recherche-action en arts à l’échelle internationale, qui propose de reconsidérer le statut des objets de la recherche (objets libres).

ORIGINE DES OBJETS LIBRES
P. Baumann, HDR, Les objets libres, 2015.
La notion d’objet libre résulte d’une pratique de recherche en arts qui a mis au centre de ses activités la production d’objets artistiques comme outils de pensée, entre 1995 et 2015. Cette Habilitation à Diriger des Recherche fut l’occasion de travailler sur les éléments de sa conceptualisation.

COMMENTAIRE DU MANUEL DE FRASCATI
P. Baumann, in Réalités de la recherche (collective) en arts.
« Prenons le problème de la recherche en arts en partant de ce qui constitue son objectif général (faire de la recherche), de sa méthode et de ses objets propres (faire de la recherche en arts). En testant la possibilité d’inscrire la recherche en arts dans un cadre de définition général, on doit pouvoir cerner ce qui détermine ses objectifs, quelques éléments de ses méthodes et le statut des objets qu’il est susceptible de créer pour contribuer à la production de savoirs (…) »

L’AVENTURE PAR LES GESTES
C. Bappel, in Dire Moby-Dick par le recherche en arts.
« Il n’existe pas d’aventure qui n’implique pas le corps. L’aventure ne se situe pas dans la pensée, elle nécessite un engagement physique, une disposition à la mobilité. L’écriture d’Herman Melville est extrêmement composite et beaucoup portée par l’aventure, en particulier dans « l’œuvre monstre » qu’est Moby-Dick. C’est un enchaînement de gestes qui guide le récit de façon continue.(…) »