RECHERCHE COLLECTIVE
« Il est donc temps d’essayer la chance de sciences diagonales. »
Roger Caillois, Méduse et Cie
PRÉAMBULE
Ce colloque souhaite présenter un appareil sélectif sur la recherche en arts, à partir d’expériences développées dans le cadre de structures collectives issues d’universités, d’écoles d’art en France et à l’étranger, ou adossées à d’autres structures plus alternatives et qui, prenant appui sur des bases de recherche fondamentale, proposent des modèles inventifs de « recherche-action », font référence en la matière.
Le cadre d’intervention a pour objectif de permettre à chaque équipe de présenter de façon développée son programme de recherche, ses objets, ses méthodes, son environnement institutionnel, son organisation et son économie, à partir d’un temps de démonstration.
Cette méthodologie collective prétend poser des bases de discussion pour avancer des éléments en faveur d’une définition plurielle et solidaire de ce que peut être un objet de recherche qui convoque l’expérience artistique. On cherchera à voir en quoi il peut (ou ne peut pas) répondre aux définitions générales de la recherche expérimentale (conditions et mise en cause de ses critères généraux de nouveauté, de créativité, d’incertitude, de systématisation et de transférabilité). On tentera d’avancer des formules explicites de la figure du chercheur en arts et des structures collectives qu’il construit pour augmenter son pouvoir d’action, son rayonnement et son intégration au sein de la vaste communauté des chercheurs et des chercheuses (dimensions créatives, structurelles, institutionnelles, politiques et financières).
INSTABILITÉ DE LA RECHERCHE ET EXPÉRIENCE COLLECTIVE
Nombreux sont les travaux actuels qui traitent de l’originalité de l’artiste comme
chercheur ou chercheuse (un « chercheur pas comme les autres ») et des conditions d’existence de la recherche en arts, s’attachant souvent à défendre la diversité des modes de transitivité situés entre les arts et la recherche : en, avec, sur, par, etc. Si cette topographie illustre les relations multiples qu’entretiennent art et recherche, elle désigne aussi une instabilité qui touche certes les arts, mais plus largement la conception qu’on se fait de la recherche actuelle dans son ensemble tant elle se confronte à des philosophies qui se développent souvent sous l’égide du politique. On prendra le parti de ne pas assimiler les deux fonctions sociales que sont celle de l’artiste et celle du chercheur. Partant de l’instabilité historique de la recherche (en arts), on tentera à partir de huit cas d’exemple de définir leurs contours à l’appui de la réalité de leurs terrains et des milieux différents qui les organisent.
L’une des particularités de ces « journées de la recherche » est qu’elles accueilleront des équipes de recherche qui discutent toutes la notion d’auteur au regard de la structure collective qu’elles construisent et qui, sans exception, mettent au centre du débat l’expérience artistique et esthétique.
PÉRIMÈTRE DE LA RECHERCHE
Ces travaux s’adresseront bien évidemment à tous ceux qui s’attachent aux développements polysémiques de la recherche en arts, mais aussi aux instances pour qui cette pensée de la recherche en arts est bien souvent étrangère. Pour ces instances institutionnelles, académiques, financeuses de la recherche, la mise en doute ne porte pas tant sur la place de l’artiste, mais sur l’acceptabilité des opérations de recherche conduites par ces chercheurs (artistes-chercheurs) au profil confusément amalgamé à celui de l’artiste ou à un simple acteur culturel. Certes on pourra objecter que ces espaces institutionnels ne sont pas les seuls lieux de la recherche. Mais force est de constater que les universités et les écoles d’art constituent les principaux lieux de la recherche en arts. On avancera que pour les chercheurs et chercheuses en arts, il ne suffit pas de proclamer que ces actions sont de nature à faire recherche, mais qu’il est nécessaire d’expliquer leur appareillage, leur particularité, leur méthode, leur aptitude à générer de nouveaux résultats, mais aussi l’adéquation de ces actions avec les principes fondamentaux de la recherche en général.
Conscient de poser là un cadre de réflexion adossé à un contexte institutionnel, on sait qu’on en limite le périmètre (et on pose aussi la question des moyens de s’en détourner), mais on sait aussi que la place et la reconnaissance de la recherche en arts passe par l’expertise des stratégies multiples qui permettent sa reconnaissance comme telle dans ce contexte global.
DE LA CONCEPTION GÉNÉRALE DE LA RECHERCHE À LA RECHERCHE EN ARTS EN PARTICULIER
Par conséquent, la méthode que se propose d’adopter ce colloque repose, d’une part, sur une conception générale de la recherche, et plus particulièrement de la recherche expérimentale, quelle que soit sa discipline, qui prend appui sur des critères récurrents à partir desquels on évalue ces recherches, et, d’autre part, sur la présentation détaillée de programmes de recherche en arts repérés comme étant particulièrement représentatifs et emblématiques en France et à l’étranger. L’exposé de cette conception générale de la recherche constitue un préalable, la présentation des exemples particuliers, un temps de marquage qui permettra, notamment, de discuter de la manière avec laquelle ces programmes spécifiques s’emparent des critères généraux de la recherche expérimentale. Enfin, il s’agira d’observer la force d’innovation de ces équipes habitées par l’indiscipline nécessaire à toute discipline. Cette indiscipline va avec la capacité à voir large à partir de démarches transversales, que Roger Caillois avait appelées les « sciences diagonales ».
ÉLÉMENTS DE STATISTIQUE ET CRITÈRES DE LA RECHERCHE EXPÉRIMENTALE
On ira chercher cette définition générale de la recherche dans le manuel de Frascati, guide internationalement reconnu publié par l’OCDE qui, depuis cinquante ans, constitue un modèle de référence pour les organismes qui financent la recherche ou cherchent à en établir des statistiques pour orienter les politiques (notamment gouvernementales) d’investissement dans la recherche (Ministère de la Recherche ou de la Culture, aux Régions, à l’Europe, etc. et des structures telles que l’ERC, l’ANR, les LABEX/IDEX en tout genre, les universités et les écoles d’art). Non contents d’être un organe de référence, les critères d’évaluation de la recherche, établis par le manuel de Frascati, influencent la reconnaissance de celle-ci et impactent, directement ou indirectement, toutes celles économiquement dépendantes (autant dire presque toutes ?). Le manuel dégage cinq critères : de nouveauté, de créativité, d’incertitude et ces recherches doivent être systématiques, transférables et/ou reproductibles. S’il ne fait pas de doute que ces critères entrent immédiatement en résonance avec nos conceptions évidentes de la recherche et avec celles de la recherche en arts en particulier, il y aurait en d’autres lieux matière à discuter des problèmes qui s’en dégagent. En effet ces signes permettent de mieux comprendre la pression politique qui pèse sur l’emploi de certaines méthodologies de recherche en arts — liées à la recherche action en particulier — et sur les politiques de valorisation de ses résultats. Parmi un certain nombre de symptômes caractéristiques, on pourra noter l’absence de chercheurs en arts dans les instances d’évaluation ou de promotion des politiques de recherche et au sein des universités en particulier. À ce titre la participation à ces rencontres de Leszek Brogowski, chercheur en art depuis plus de 40 ans sur le livre d’artiste et vice-Président à la recherche de l’Université Rennes 2, constitue un remarquable contre exemple.
TEMPS DE PAROLE ET RÉALITÉS DE LA RECHERCHE EN ARTS
Aussi, si cette vision d’ensemble ne doit pas échapper à chaque équipe invitée, l’objectif de ce colloque est bien de donner à chaque groupe de recherche le temps (1h30) d’exposer en détails ce qui caractérise ses travaux, conduits sous l’égide d’un collectif qui lui-même avance des stratégies variables de valorisation des intelligences collectives. On souhaite ainsi d’abord entendre comment ces recherches se racontent et de façon systématique repérer quels en sont les objets, les méthodes, les dimensions analytiques, les modes de démonstration et de valorisation, les économies écosystémiques, structurelles et monétaires des équipes, leur organisation matérielle et leur implantation, leur labellisation et le contexte institutionnel (s’il en est) au sein duquel elles évoluent. Si on s’attaque ici par le menu et les détails à la nature et à la réalité de ces programmes, c’est avec l’intention avouée de mettre à la marge le spéculatif et l’elliptique pour aborder toutes les parties dures qui touchent aux activités de recherche en arts et qui articulent les faits et les idées aux milieux qui les environnent.
On postule que ces témoignages permettront à la communauté des chercheurs d’avoir des clés épistémologiques utiles et concrètes tant sur la puissance d’invention de ces projets que sur la dure réalité du terrain.
Parmi les éclaircissements auxquels on peut logiquement s’attendre, viendront celui du statut des chercheurs en arts à l’université, dans les écoles d’art ou ailleurs et des objets qu’ils produisent dans ce contexte collectif. On devrait tout aussi logiquement faire la part des choses entre des pratiques pédagogiques d’apprentissage de la recherche et des procédures de recherche en tant que telles. Il devrait aussi être question de la durée de ces expériences et de la valeur de leur engagement fondamental. On devrait constater, évidemment, que ces recherches ne sont, dans ce rapport à la durée, ni homogènes ni continues — résultent d’une succession d’intensités variables — et que les énergies qui s’y déploient, elles aussi, sont fluctuantes.
On pourra observer encore combien elles sont faites de situations très différentes, expériences de terrain, travail en laboratoire, développement théorique de longue haleine, expérimentations pratiques opiniâtres, séminaires, résidences, éditions ; tous les temps de la recherche y sont présents. Logiquement, se posera alors la question du statut de ces chercheurs particuliers, de leur inscription dans la communauté à laquelle ils sont rattachés et des politiques qui permettent la formation de ces chercheurs, le doctorat étant une des composantes de cet accès à la recherche. Dans ce contexte, nous avons fait le choix, par la nature des équipes de référence qui interviennent, de donner les moyens au public et au futur lecteur des actes à paraître, de découvrir un champ à la fois sélectif et ouvert. Ces exemples, issus de nos principales institutions susceptibles de produire de la recherche en arts, permettent d’observer des méthodologies certes très différentes, mais qui, toutes, affirment, dans le contexte de pressurisation professionnalisante et des politiques de regroupement des établissements, liberté de pensée, exigence, conscience, créativité et durabilité de la recherche en arts. « Il est donc temps, comme le disait Caillois, d’essayer la chance de sciences diagonales. »
COLLOQUE RÉALITÉS DE LA RECHERCHE (COLLECTIVE) EN ARTS
HUITS CAS DE RECHERCHE COLLECTIVE EN ARTS:
MOBY-DICK
BIOMORPHISMES
ÉDITIONS INCERTAIN SENS
RÉENGAGER FREIRE
LA PART DE L’ŒIL
UN FILM INFINI
LABORATOIRE DES HYPOTHÈSES
SUSPENDED SPACES
Les réalités de la recherche en arts se confrontent bien souvent aux mêmes critères que ceux de toute recherche expérimentale : de nouveauté, de créativité, d’incertitude, de systématisation et de transférabilité. Huit équipes de recherche, implantées à Bordeaux, Clermont-Ferrand, Marseille, Genève, Paris, Bruxelles, Amiens, Cherbourg et Rennes en dessinent les contours et se proposent d’exposer par le menu leurs OBJETS, leurs MÉTHODES, leur ORGANISATION, leur MILIEU et le pouvoir de DÉMONSTRATION de la pensée artistique, esthétique et politique qu’elles déploient collectivement et durablement, par le verbe, les faits et les gestes et ce, parfois, depuis plus de trente ans.
29/30 NOVEMBRE 2018, UNIVERSITÉ BORDEAUX MONTAIGNE, MAISON DES ARTS.
SOUTIENS:
UR CLARE EA4593/ARTES.
Ce projet a bénéficié du fonds de soutien à la recherche de l’Université Bordeaux Montaigne.
COMITÉ SCIENTIFIQUE :
Danièle James-Raoul, Pierre Sauvanet, Jean Arnaud, Amélie de Beauffort, Diane Watteau.
SOUTIENS DOCTORANT.E.S ET ÉTUDIANT.E.S MASTER RECHERCHE ARTS PLASTIQUES UBM:
Chloé Bappel, Tomas Smith, Esther Pontoreau, Camille Rousseau, Anne Wambergue, Marie Félicie-Queudelin, Ely Mechain, Amaryce Bourgade, Camille Rivet, Camilla Magnani.
Régie son/lumière : Étienne Beaudouin.