HDR O.L.

FAIRE
Ce projet défend l’idée que la pratique de l’art – parce qu’elle est expérience, philosophie du geste – détient en elle sa propre théorie. Faire c’est penser. Penser c’est prendre, reprendre, apprendre et entreprendre, ce en quoi cette synthèse d’habilitation s’inscrit pleinement dans le champ des arts plastiques. On ne dissocie pas ce qu’on dit être la « pratique » de la « théorie ». En cela, cette recherche n’est ni linéaire ni tout à fait décidable (pas toujours cartésienne) ; elle n’est pas non plus disséminée, encore moins éthérée. On cherche toujours à mesurer, à quantifier, à théoriser. Elle avance par coups, après-coups et contrecoups comme on conduirait une partie d’échecs où objets spécifiques (un fou, un cheval, une tour ou une dame), positions et déplacements constituent à la fois le modèle et le moteur de la pensée. La recherche d’un équilibre répond à la querelle des positions. La recherche, épistémologiquement parlant, tente de saisir cette instabilité ; elle étudie les processus et ses méthodes de mise en œuvre. Ainsi, les travaux se sont toujours organisés à partir de la production d’ouvrages théoriques, textuels, et de réalisations d’objets artistiques (exposés ou diffusés numériquement). La création plastique n’est rien d’autre qu’un langage analytique constitutif de l’appareil scientifique.

LES OBJETS LIBRES
Comme le titre l’indique – « Les objets libres » – il est des objets (d’art) qu’on ne saurait absolument contenir parce que, délibérément, ils vivent leur vie avec indépendance. Autrement dit, ces objets constituent une ressource, aussi infime soit-elle, non négligeable, dont il faut questionner tout autant les critères de mesure que les rapports (écosophie de Guattari). Ainsi pourrait-on parler d’une « écologie de la pensée plastique » à valeur de programme pour nos travaux futurs. Cette conscience écologique traverse l’art (du XX et du XXI siècle en particulier, de Duchamp et Brancusi à Alÿs en passant par Filliou) et elle refond l’identité de l’artiste. Les travaux que nous avons menés depuis les années 2000 investissent cette dimensionnalité élargie de l’art, là où il va hors limite.

Quatre grands axes fondamentaux  organisent cette synthèse d’habilitation. Ces axes ne sont pas exactement chronologiques car les pôles de recherche furent parfois conduits de façon parallèle ou croisée et s’augmentent mutuellement.

MODÈLES ET MÉTHODES
Sont d’abord déterminés nos modèles et méthodes, qui s’adossent à deux figures fondamentales que sont La Colonne sans fin de Constantin Brancusi et le concept d’inframince de Marcel Duchamp. On a pu étudier combien, catalysés par deux modèles méthodologiques, que sont la figurologie de Michel Guérin et l’expérience de la réplique, ces schèmes fondamentaux montent un programme particulièrement fructueux : la matière, l’image, le geste, l’espace et le temps organisent la pensée plastique autour d’un germe original (Le groupe mobile, Colonne sans fin à la racine), de son développement incertain, issu d’une succession de choix, pour, tout compte fait, fondre organiquement en une série d’objets libres. Les conséquences sont d’ordre plastique (statut dimensionnel de la forme et de l’image), mais aussi perceptives et conceptuelles (question de seuil de sensibilité). Elles sont aussi légales (remise en cause du copyright). Elles dressent un modèle d’investigation dans le champ de l’art contemporain (Orozco, Soriano, Dupuy, …)

MATIÈRE ET INVENTION
On restitue dans cette partie ce qui agit dans la mise en cause de la dimensionnalité de la matière. D’abord deux typologies d’objets spécifiques : le monochrome et le trou (mais aussi encore et toujours les Colonnes sans fin et l’inframince). À cela s’ajoute un appareil théorique développé autour de la relation entre l’optique (l’œil) et l’haptique (la main) complété par une étude du statut des images et de leurs implications numériques (de Man Ray à Nicolas Frespech). Cette entité optico-haptique a guidé une recherche d’économie de l’objet afin de construire une éthique de l’allègement qui passe par la fructification d’une suite de désistements matériels (pans de couleurs, disparition, dématérialisation, développement de structures alvéolaires, transfert par l’image, numérisation, incarnation contingente ou encore déplacement). Cette relation, contre tout présupposé, a tenté de démontrer combien cette esthétique trompeuse de la dématérialisation permet de faire fructifier le pouvoir d’invention de ces objets mobiles (libres).

GESTE
Ces travaux sur la matériologie interrogent les implications du geste artistique et la mise en crise de la stabilité de l’objet. Ils convoquent l’analyse de stratégies répétitives (réplique, itération de la forme, montage/bricolage), apparemment défaitistes (percer, user, soustraire, déporter). C’est à l’esprit d’aventure qu’on se réfère ici et à cette faculté d’invention qui, en assumant l’errance, la mission expérimentale, l’expédition, vainc l’incertitude en y délogeant de nouvelles formes de connaissance. Ainsi on a pu observer comment le modèle scientifique (de Charles Darwin et de l’Amphiroa Orbignyana en particulier) instaure des modus operandi minimaux (observer, classer, poser, placer, modéliser) qui refondent tout autant les dispositifs de montage de l’art que la conception de l’artiste. La thèse esthétique qui se dégage de ces expérimentations, renforcée par un programme de recherche mené en partenariat avec Amélie de Beauffort sur l’usure, va contre toute politique pessimiste de l’art. Elle vise au renversement des pertes et à la fructification par la réduction et la mobilité. Optimisme absolu du faire et positivisme de la matière.

PENSÉE MOBILE
On désigne enfin ce qui constitue le programme de nos travaux à venir sur des bases épistémologiques d’une part, en exposant des investigations individuelles ou collectives de recherche, voire pédagogiques (projet Cracovie). Ces bases prennent appui sur la non dialectisation de l’idiome théorie / pratique et sur la mobilité (physique et intellectuelle). Elles redessinent une figure de l’artiste chercheur qui déroge à certaines prérogatives académiques – qui seraient d’incarner le spécialiste – au profit d’un homme polyvalent (un « homme universel » écrivait Valéry à propos de Léonard) et amateur (« Les indiens ne veulent pas de la spécialisation, parce qu’elle entraîne la supériorité » écrit JM. Le Clézio dans Haï). Ceci permet, d’autre part, de déterminer des protocoles et des objets d’études qui ambitionnent d’avancer plus loin encore cette pensée écologique que nos travaux ont dégagé peu à peu, en convoquant l’esprit du bricolage, des méthodologies scientifiques de partage des découvertes ou, tout simplement, de notre culture contemporaine nomade. S’ouvre ici le vaste programme qu’est celui de penser au cœur du mouvant l’intensité des rapports, qui nous permettront de construire ce qu’on nomme ici une écologie de la pensée plastique, autrement dit une pensée empirique conduite par la prolifération organique de l’art.

LES OBJETS LIBRES, POUR UNE ÉCOLOGIE DE LA PENSÉE PLASTIQUE

Thèse d’habilitation à diriger des recherches, soutenue le 4 juin 2015 dans la salle d’exposition Alban Denuit, Université Bordeaux Montaigne.

JURY:
Hélène Saule Sorbé (Garante, U. Bordeaux Montaigne)
Michel Guérin (Professeur émérite Aix Marseille)
Christophe Viart (Professeur, U. Paris 1)
Jean Arnaud (Professeur, Aix-Marseille U.)
Christian Bonnefoi (artiste)
Lucien Massaert (Professeur étranger, Académie Royale des beaux Arts de Bruxelles)
Pierre Sauvanet (Professeur, U. Bordeaux Montaigne)

CONCEPTION:
Ce dossier est constitué d’un volume qui regroupe la synthèse des  travaux de recherche menés depuis une dizaine d’années, un catalogue raisonné des productions artistiques (1995-2015), un inventaire des différentes publications, un CV et un projet d’ouvrage inédit.
480 pages
format 39,5 x 30,5 cm
reliure toilée orange ou jaune
imprimé à 10 exemplaires.